L'Orchestre de chambre de Paris en concert au Théâtre des Champs-Elysées
(Images non contractuelles)
Clé d'écoute avec Philippe Manoury à 15h (Concert à 16h)
Autour de l’une des plus grandes symphonies de Mozart, le répertoire diversifié de ce concert s’inscrit dans les célébrations du centenaire de la naissance de Pierre Boulez (1925-2016). Compositeur et chef majeur du XXe siècle, celui-ci dirigea souvent la musique de Bartók et Ravel, et noua un lien professionnel et amical avec Philippe Manoury, dont on entendra aujourd’hui une nouvelle œuvre. Pascal Gallois, à la tête de l’Orchestre de chambre de Paris pour ce concert, a lui-même joué comme bassoniste sous la direction de Boulez.
Composé en 1939, le Divertimento pour cordes de Béla Bartók emploie des thèmes d’inspiration hongroise. Son premier mouvement, Allegro non troppo, est marqué par son caractère dansant et rustique.
La création de Philippe Manoury, Scales, est destinée elle aussi aux cordes seules. Un effectif qui intéresse beaucoup le compositeur, car il permet un jeu unique sur l’épaisseur orchestrale : « C’est ce qui me fascine et m’intéresse avec les cordes : créer des textures chargées qui ne soient jamais lourdes. C’est une chose que Boulez m’avait dite et qui m’avait frappé : ‘Si tu superposes des bois, cela devient très vite opaque. Mais tu peux superposer les cordes en les divisant à l’infini, elles garderont toujours une transparence, malgré la densité.’ » Comme son titre l’indique, l’œuvre explore l’idée d’« échelles », c’est-à-dire de gammes, qui sont pour les compositeurs comme des réservoirs de notes. « On entendra ainsi de nombreux mouvements montants et descendants qui finiront par créer des ‘mélodies’, explique Manoury […] À chaque pas de l’échelle une nouvelle expression peut se révéler, comme un paysage que l’on découvrirait progressivement en prenant de l’altitude ».
La Pavane pour une infante défunte de Ravel séduit par son thème magnifiquement tendre. Encore étudiant au Conservatoire, le compositeur la destine au piano en 1899, puis l’adapte pour orchestre en 1910. La « pavane » est une danse italienne lente, mais qui était donc cette « infante défunte » ? Loin de tout pittoresque, Ravel répondait : « Je n’ai songé, en assemblant les mots qui composent le titre, qu’au plaisir de faire une allitération ! »
Chantante et d’une folle énergie, la Symphonie no 36 de Mozart est l’une de ses grandes œuvres orchestrales. Le musicien l’écrit en trois jours, fin 1783, en vue d’un concert rapidement organisé chez son ami le comte Thun, qui l’accueille dans son palais de Linz, en Autriche.
Nicolas Southon
Orchestre de chambre de Paris
Pascal Gallois, direction
Charlotte Juillard, violon, direction de la Symphonie n° 36 en ut majeur, K. 425, « Linz » de Mozart
Avant-concert avec Philippe Manoury
Béla BARTÓK, Divertimento pour orchestre à cordes (Allegro non troppo)
Philippe MANOURY, Scales création pour orchestres à cordes. Co-commande de Pascal Gallois, de l’Orchestre de chambre de Paris et de l’Orchestre national de Bretagne Hommage à Pierre Boulez
Maurice RAVEL, Pavane pour une infante défunte
Entracte
W.A.MOZART, Symphonie n° 36 ut majeur « Linz », K. 425
Béla Bartók (1881-1942)
Divertimento pour orchestre à cordes, Sz 113 (BB 118)
I. Allegro non troppo
Composition : été 1939.
Dédicace : à l’Orchestre de chambre de Bâle.
Création : le 11 juin 1940, par l’Orchestre de chambre de Bâle sous la direction de Paul Sacher.
Durée : environ 9 minutes.
Philippe Manoury (né en 1952)
Scales, pour orchestre à cordes (formé de 21 ou de 42 musiciens)
Co-commande de Pascal Gallois-Les Musicales de Quiberon, de l’Orchestre de chambre de Paris et de l’Orchestre national de Bretagne
Composition : début 2025, achevée le 31 mars
Dédicace : à Pascal Gallois
Création : le 6 septembre 2025, au Parc floral de Paris dans le cadre du Festival Classique au vert
Durée : environ 18 minutes
Composée début 2025, la nouvelle pièce de Philippe Manoury, Scales, s’inscrit dans le cadre des célébrations du centenaire de la naissance de Pierre Boulez. Conçue pour un orchestre à cordes, l’œuvre est le fruit d’une co-commande de l’Orchestre de chambre de Paris et du chef d’orchestre Pascal Gallois, qui souhaitait initialement la faire voisiner avec le Livre pour cordes de Boulez, destiné au même effectif. Dirigée du violon par Charlotte Juillard, la Symphonie no 36 « Linz » de Mozart, une œuvre pour laquelle Philippe Manoury a une affection particulière, conclut ce programme.
L’effectif de Scales correspond aux préoccupations actuelles de Philippe Manoury, qui « souhaite écrire pour des formations moins conventionnelles que l’orchestre classique », nous explique-t-il au printemps 2025. Pendant la composition, le musicien garde en tête le Livre pour cordes de Boulez, mais c’est une autre partition qui constitue un modèle plus direct : les Métamorphoses de Richard Strauss, fleuron de l’héritage postromantique. « Composées en 1945, comme les 12 Notations pour piano de Boulez, les Métamorphoses sont une œuvre immense, dont j’admire en particulier la dimension polyphonique et le traitement des cordes. »
Mieux qu’aucune autre formation, l’orchestre à cordes représente pour Manoury une matière sonore idéale à sculpter : « C’est ce qui me fascine et m’intéresse avec les cordes : créer des textures chargées qui ne soient jamais lourdes. C’est une chose que Boulez m’avait dite et qui m’avait frappé : ‘Si tu superposes des bois, cela devient très vite opaque. Mais tu peux superposer les cordes en les divisant à l’infini, elles garderont toujours une transparence, malgré la densité.’ » L’écriture de Scales témoigne clairement de cette recherche instrumentale, qui est celle aussi d’une esthétique sonore, laissant d’ailleurs une marge de liberté à ses interprètes : dans certains passages, Philippe Manoury leur demande de choisir au hasard des arabesques sonores reliant les notes principales de la mélodie. Une technique qu’il a souvent employée dans ses œuvres pour orchestre.
Le titre de la partition l’exprime clairement : Scales explore l’idée d’« échelles » (terme proche de celui de « gammes »), matériaux de base des compositeurs depuis « les origines de la musique, comme chez les Grecs anciens par exemple », précise Manoury. « On entendra ainsi de nombreux mouvements montants et descendants qui finiront par créer des ‘mélodies’. À chaque pas de l’échelle une nouvelle expression peut se révéler, comme un paysage que l’on découvrirait progressivement en prenant de l’altitude », explique-t-il.
D’autres œuvres récentes du musicien ont donné lieu à un tel travail, comme sa pièce Présences pour grand orchestre (2024) et son opéra Die letzten Tage des Menschheit (« Les derniers jours de l’humanité »), créé fin juin 2025 à Cologne. « J’ai élaboré un système dans lequel une échelle peut donner naissance à onze autres. Mais cela n’a rien à voir avec le sérialisme, ni avec une modalité consonante à la Arvo Pärt. »
Philippe Manoury situe plutôt ses recherches dans la lignée de Debussy, l’un de ses compositeurs fétiches. « Ce qui est fascinant chez lui, dans La Mer et les Préludes pour piano par exemple, c’est la fusion des dimensions mélodiques et harmoniques : quand il écrit des échelles, qui montent et descendent, une harmonie apparaît.
Mélodique par nature, l’échelle donne naissance à l’harmonie. C’est ce que j’ai essayé de faire dans Scales. » En témoignent les douze échelles superposées au début de la partition, traitées ensuite une à une dans autant de sections, qui s’enchaînent sans démarcations nettes cependant.
Nicolas Southon
Maurice Ravel (1875-1937)
Pavane pour une infante défunte, M. 19, version pour orchestre
Wolfgang Amadeus Mozart (1756 -1791)
Symphonie n° 36 en ut majeur, K. 425, « Linz »
Composition : 1783.
Création : le 4 novembre 1783 au théâtre de Linz, sous la direction du compositeur.
I. Adagio – Allegro spiritoso
II. Andante
III. Menuetto
IV. Presto
28 minutes environ.
En 1783, Mozart s’arrête à deux reprises à Linz, entre Vienne où il réside, et Salzbourg où il rend visite à son père. Lors du voyage de retour, on lui commande une symphonie qu’il écrit en quatre jours, afin qu’elle soit jouée le 4 novembre. Mais la brièveté de son temps de travail ne l’empêche pas d’explorer de nouvelles voies, là où d’autres musiciens auraient cédé à la facilité de reproduire des schémas familiers.
Sans doute sous l’influence de Haydn, il abandonne l’esprit de divertissement dans lequel se complaisent la plupart de ses contemporains. Pour la première fois, il dote une symphonie d’une introduction lente qui atteste de nouvelles ambitions. En outre, après la solennité des premières mesures, la mélodie cantabile répartie entre les violons et les bois est assombrie par une incursion en mode mineur à laquelle Mozart donne un relief particulier, même si l’Allegro spiritoso balaie cette inquiétude avec une énergie qui ne se relâche jamais. Dans l’Andante, bercé par un rythme de sicilienne, un détail d’orchestration retient l’attention : la présence des trompettes et timbales, alors qu’à cette époque, elles sont souvent exclues des mouvements lents. De plus, elles interviennent dans un discours à la forte densité expressive, l’épisode central multipliant les tensions harmoniques. Pour Mozart, un mouvement lent n’est pas destiné à seulement chanter et séduire.
Les ombres et les tensions qui émaillent la première moitié de l’œuvre disparaissent quasiment des deux derniers mouvements, un menuet aimable (dont le trio central met en valeur le hautbois et le basson) et un finale très enlevé. Les nombreux contrastes qui jalonnent le Presto rappellent que Mozart, avec les créations récentes d’Idomeneo (1781) et de L’Enlèvement au sérail (1782), est en train de s’imposer comme l’un des plus grands compositeurs de théâtre de tous les temps.
Pour l’anecdote
Au festival de Salzbourg, le 6 août 1943, cinq jours avant la création de son Concerto pour cor n° 2, Strauss dirige un concert entièrement consacré à Mozart, avec le Concerto pour piano n° 26, les Symphonies n° 39 et n° 40. Mais pas la Symphonie « Linz » qui, en revanche, est au programme du concert d’Ernest Ansermet, le 20 août.